En réfléchissant à la posture que je voulais adopter en écrivant ce “Coup de Sang”, celle de danseuse, celle de femme, je me suis rendu compte que le plus gros manque d’information que j’ai rencontré face au tabou des règles n’est pas l’existence de celles-ci, mais leur absence. Que veut dire de nous un retard, un manquement, ce vide, cette non présence des règles lorsque ce n’est pas lié à une grossesse ?
J’ai eu mes règles régulièrement jusqu’à mes seize ans. Peu à peu, j’ai vu le flux se réduire, puis… disparaître.
Pas forcément plus inquiète que cela, voire même soulagée de la disparition des désagréments liés (fatigue, douleurs, organisation méticuleuse, etc.), les médecins à qui j’en parlais à l’occasion me rassuraient : “athlète et mince, c’est courant”. Or, ce n’est jamais anodin. Le fait qu’une femme n’ait pas ses règles régulièrement est le signe d’un problème, plus ou moins important, de santé. J’ai eu des fractures de fatigue aux métatarses à répétition, jusqu’à l’arrachement osseux et l’arrêt de la pratique obligatoire pendant deux mois. J’ai eu la chance d’être prise en charge par l’INSEP grâce au docteur Xavière Barreau, dirigeant le service santé de l’Opéra, qui m’a envoyée voir le docteur Carole Maître, gynécologue-médecin du sport, spécialiste du suivi des sportives de haut niveau à l’INSEP. Il s’avère que j’avais un taux d’oestrogènes beaucoup trop bas, entraînant une ostéopénie, une grande fatigue et potentiellement une fragilité osseuse difficilement compatible avec l’intensité physique de mon métier… J’avais 20 ans, j’ai suivi un traitement hormonal qui m’a permis de récupérer de la densité osseuse et d’enrayer ainsi le risque de fractures. A deux ans près, je n’aurai pas pu récupérer cette densité. Raconter cette histoire grâce à Règles Élémentaires, c’est pour moi l’occasion de sensibiliser des jeunes filles à prendre soin de leurs corps, à parler de leurs règles, de leur présence ou non. Ne pas les voir comme un fardeau, mais comme la validation d’un corps en bonne santé.
Sentir son corps évoluer chaque mois, particulièrement pendant cette semaine de règles, n’est-ce pas cela se sentir femme ? Être femme ? Comprendre comment faire coïncider cette période, qui vient chargée de son lot de complications, avec la réalité du quotidien ? Tout en se rappelant à soi, prendre soin de soi, s’écouter sans pour autant s’accabler, se dépasser sans pour autant s’oublier… Trouver cet équilibre, cette liberté dans la contrainte.
A chacune de trouver selon sa constitution sa propre balance en ayant conscience que notre poids n’impacte non pas seulement l’esthétique de notre corps, mais son fonctionnement même. Et que nous n’en avons qu’un. Qu’il est régi par une horloge interne, que notre manière de le transformer peut avoir des conséquences parfois irréversibles.
Pour accomplir nos rêves et être en mesure de nous dépasser, il faut en premier lieu être en forme. Et nos règles ne sont plus un frein à notre épanouissement, mais l’indicateur de notre santé. Si vous avez une amie, une cousine, une fille de votre entourage qui vous confie ne plus avoir ses règles, ou vous même, agissez en allant consulter. Je sais que c’est tentant de continuer à s’en passer mais… cela fait partie de nous. J’ai pu lire dans les autres « Coups de Sang » que, finalement, nous pouvons beaucoup améliorer les règles et la manière dont nous les vivons en changeant de point de vue. Accepter nos cycles, conscientiser nos corps, s’y connecter, appréhender ce que cela signifie pour vous, finalement n’est-ce pas cela qui est fascinant ? Et si on célébrait ce cheminement ?
**Eugénie Drion**
Danseuse à l’Opéra de Paris (entrée à l’école de danse en 2007, engagée dans la compagnie en 2014). Prix Jeunes Espoirs 2014. Fondatrice d’INDEPENDANSE, association lancée en 2018 pour promouvoir la danse comme médium de la liberté, favorisant le vivre ensemble et la création de jeunes artistes. Jury du prix de l’Héroïne Madame Figaro 2018.
Chaque mois, nous donnons carte blanche à une personnalité libre d’exprimer son “Coup de Sang” autour des règles, de la précarité, des tabous ou d’autres sujets d’indignation. Les propos exprimés sont ceux de leur auteur·rice.