Nous avons, deux années de suite, organisé une grande collecte de produits d’hygiène (serviettes hygiéniques, tampons, etc.) à destination des femmes en situation de rue ou en grande précarité et avons été littéralement submergés par l’incroyable affluence le jour de la distribution. Le “succès” de ces opérations démontrait bien tristement notre immense échec collectif face à la situation désastreuse de ces femmes.
En tant qu’homme, ce “Coup de Sang” est une blessure : quand tu saignes, je saigne, car “nul homme n’est une île”. Ça me blesse profondément de constater cet état délabré des conditions dans lesquelles vivent certains êtres humains - particulièrement les femmes en précarité dont on parle ici.
Notre ADN chez ENTOURAGE consiste à ne pas penser “pour” ou “à la place” des personnes concernées, mais au contraire d’écouter la parole de ces femmes pour à la fois identifier leurs problèmes réels, et ainsi suggérer d’éventuelles pistes de solutions. Au cœur de notre gouvernance associative se trouve donc le “Comité de la rue”, constitué de personnes ayant vécu des situations violentes liées à la grande exclusion qu’est la rue. Nous passons au crible nos décisions, nos projets, nos partenariats. Nous avons la grande chance d’avoir à la vice-présidence de ce comité Elina Dumont qui , après avoir vécu 15 sans domicile fixe, se bat aujourd’hui pour la lutte contre le sans-abrisme, avec un focus particulier pour les femmes.
Vous pouvez consulter son rapport en qualité d’experte des femmes à la rue et de la grande exclusion des femmes de France qui rend compte de la situation des femmes à la rue «ici».
C’est donc à Elina Dumont que je laisse naturellement la parole pour la suite de ce “Coup de Sang” en forme de témoignage personnel.
J’ai plus d’un demi-siècle. Je réalise qu’aujourd’hui en 2021 la problématique des serviettes hygiéniques, tampons… bref, l’hygiène intime des femmes est toujours un problème !
Pour ma part, à chaque maraude, je suis toujours surprise que des femmes utilisent encore aujourd’hui les mêmes astuces que moi il y a 30 ans lorsque j’étais dans la rue : journaux, papier toilette ou tissus trouvés dans les poubelles au moment de leur règles, parfois douloureuses et sans médicaments.
C’est pourquoi, dans mon rapport sorti en novembre 2020, j’ai proposé qu’il y ait des distributeurs auprès de chaque pharmacie, dans tous les lycées, tous les collèges, via un système de jetons que ces personnes pourraient obtenir via des associations ou des travailleurs sociaux.
Dans la rue, la notion du temps n’existe pas. C’est pourquoi, ces distributeurs sont indispensables.
Quand on vit dans la rue, lorsque l’on est étudiante dans la précarité, ou tout simplement une femme monoparentale, les serviettes hygiéniques, tampons, ont un coût.
Quand les femmes doivent faire un choix lorsqu’elle font leurs courses, pour nourrir leurs enfants, elles renoncent à s’acheter des serviettes hygiéniques, faire des suivis gynécos, mammographies, etc. Tout ceci n’existe tout simplement pas pour beaucoup de femmes dans la rue.
Dans la rue, on se paume. On se fait facilement abuser, des grossesses non voulues, maladies (sida, vénériennes etc.) qui peuvent résulter de ses abus sont fréquentes.
J’ai moi-même failli perdre mon rein droit pour une absence de suivi médical et surtout l’absence d’accès à l’information.
J’ai rencontré récemment une femme en précarité qui utilisait les couches de ses bébés lors de ses règles ! Il faut également travailler en amont : c’est-à-dire ne pas attendre que les femmes se retrouvent à 18 ans dans la rue.
La prévention au niveau de l’éducation nationale (collège et lycée) sur ces sujets est essentielle et doit être radicalement améliorée.
Certes, les structures existent, mais certaines femmes en ont peur : elles ont l’impression de risquer une enquête presque “policière” car elles craignent de se voir reprocher d’être irresponsable pour toucher des aides supplémentaires.
Pour parler à ces femmes, il faudrait que l’on organise davantage de maraudes en journée “à mains nues”, car les femmes se cachent la nuit par peur d’agression, et sont plus difficilement à identifiées, par les maraudes habituelles de nuit.” Comme le disait Victor Hugo, “L’enfer est tout entier dans ce mot : SOLITUDE”.
Elina DUMONT, Vice-Présidente du Comité de la rue d’ENTOURAGE
Jean-Marc POTDEVIN, Co-Fondateur de l’association ENTOURAGE
Chaque mois, nous donnons carte blanche à une personnalité libre d’exprimer son “Coup de Sang” autour des règles, de la précarité, des tabous ou d’autres sujets d’indignation. Les propos exprimés sont ceux de leur auteur·rice.