Lorsque Règles Élémentaires m’a proposé d’écrire mon coup de sang, je me suis demandée quel sujet j’allais pouvoir aborder avec vous.
Non pas parce que je n’avais pas d’idées, mais parce que j’ai tellement de revendications que je ne savais pas laquelle mettre plus en avant que d’autres. Alors j’ai laissé ma plume (plutôt mon clavier) décider pour moi.
Mais j’oubliais le principal (et le plus poli) , me présenter.
Je m’appelle Julie, je vais bientôt avoir 40 ans (sur le papier, car dans la tête, j’ai 12 ans trois quarts, et qu’après tout, c’est quoi l’âge?), et vous pourrez me trouver sur les internets sous le doux pseudo de @lafillequiadestaches .
Vous me connaissez peut-être déjà alors ce qui va suivre ne va rien vous apprendre, mais pour celles et ceux qui découvrent aujourd’hui mon existence (et vous êtes très nombreux), je vais vous expliquer pourquoi j’ai choisi ce pseudo.
Je suis née avec des angiomes (taches de naissance) sur 70 % de mon corps. Autrement dit, j’ai un corps quasi-violet (ou plutôt lie-de-vin pour les connaisseurs de couleurs), ce qui est pour moi supracool, car ce n’est pas tous les jours que tu peux croiser la fille de Thanos, mais pour d’autres personnes, c’est : beurk, dégueulasse, horrible, contagieux, très moche.
Ces autres personnes, ce sont celles qui m’ont harcelé à l’école et qui me harcèlent encore sur les réseaux.
Ces autres personnes, ce sont celles qui avaient oublié pendant ma scolarité que j’avais un prénom et qui me surnommait la fille qui a des taches.
Alors quand il a fallu donner un nom à mon compte Instagram, utiliser ce nom a été comme une évidence.
Je voulais montrer que ce nom qui m’a fait tant de mal à une époque et aujourd’hui ma force.
Et c’est de ça que nous allons parler aujourd’hui. Quand je dis ça, je parle des haters.
Je vais vous faire une confidence, je dis souvent sur mes réseaux que je ne souffre plus de toutes ces immondices que l’on peut dire à mon sujet.
Enfin plutôt au sujet de mes angiomes.
Je dis que je ne souffre plus et que cela ne m’atteint plus.
Mais ce n’est pas tout à fait vrai.
Pour être honnête avec vous, j’en suis même arrivée à un point où je suis fatiguée, exténuée, à bout.
Et c’est donc cela qui sera mon coup de sang.
40 ans de regards interrogateurs, de moqueries, de manque de respect. 40 ans de personnes qui me prennent en photo dans le métro ou dans la rue, qui me regardent de travers, qui me pointent du doigt.
40 ans de questions débiles posées à la caisse du supermarché au moment de payer, de médecins qui me demandent ce que j’ai sur les mains, de rdv Tinder avortés, car les mecs flippaient de trinquer avec une nana aux mains violettes. 40 ans à supporter tout ça et plus récemment à encaisser au quotidien des insultes sur les réseaux.
J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne comprends pas.
Je ne comprends pas ce qu’il peut se passer dans la tête de ces gens-là.
Je ne comprends pas quel plaisir ils prennent à se moquer d’une chose dont je ne suis même pas responsable (et même si je l’étais d’ailleurs, cela ne changerait rien au problème) .
Je ne comprends comment un jour, on décide de venir insulter quelqu’un gratuitement sur un réseau social, juste parce que son corps ne correspond pas au standard de beauté que l’on te met en tête depuis que t’es gosse.
Je ne comprends pas comment on peut dire à quelqu’un de se suicider ou que sa mère aurait du avorter, juste parce que celle-ci a des couleurs sur le corps que l’on a pas l’habitude de voir ailleurs.
Je ne comprendrais jamais (et je pense que nous sommes nombreux dans ce cas-là), le plaisir que prennent ces gens là à être si mauvais envers les autres. Je pourrais malheureusement continuer longtemps la liste de mes incompréhensions.
Je ne suis pas sûre que cela changerait le problème, ce qui est certain, c’est que le fait de les énumérer me fait du bien, et me soulage d’un léger poids.
Je me pose cependant une question.
Est-ce qu’un jour, on me fichera la paix ?
Si vous saviez le nombre de fois où j’ai rêvé d’être « normale « le temps d’un instant. Juste pour ressentir comment cela serait que de vivre noyée dans la masse…
Attention, ce coup de sang n’a pas pour but de me faire plaindre, mais plutôt vous montrer mon quotidien.
Car oui, il s’agit de mon quotidien.
Et je crois que cela n’est pas prêt de changer.
Soyez rassurés, je suis heureuse, entourée, aimée, choyée.
Il n’empêche que malgré cela , je vivrais perpétuellement avec point d’interrogation au-dessus de la tête.
Car je sais que je n’aurai jamais de réponses à tout ça.
Je sais que je vais devoir continuer à vivre ainsi, en m’adaptant à la connerie d’autrui.
Si quelqu’un parmi vous à la réponse, je suis preneuse.
Sinon cela restera le plus grand mystère de ma vie.
Pour finir sur une note positive, sachez que chacun des regards, des mots, des bêtises dites à mon sujet me donne une force incroyable, et me donne le courage d’affronter chacune de mes journées avec le sourire. Et c’est avec cela que je voulais terminer mon texte, une note de positif, et un sourire, un grand sourire.
Prenez soin de vous.
Julie
(@lafillequiadestaches)
(Crédit photo : Juliette Diott)
Chaque mois, nous donnons carte blanche à une personnalité libre d’exprimer son “Coup de Sang” autour des règles, de la précarité, des tabous ou d’autres sujets d’indignation. Les propos exprimés sont ceux de leur auteur·rice.